Il portait des culottes, des
bottes de moto, Un blouson de cuir noir avec un
aigle sur le dos... A treize ans... Ca m'a pris à treize ans !
Je regarde les catalogues des 49,9 cm3, les rayons, les selles
en skaï noir... Chevaucher ça ! Devenir le centaure
mécanique ! Peu m'importe alors que les mâles à
guti aient une mauvaise réputation.
Sa moto qui partait comme
un boulet de canon Semait la terreur dans toute
la région. La Commando. Oui oui, cette anglaise authentique...
La force brute, un moteur vibrant de plaisir dans son lit de
plumes, des échappements chromés comme les nuits
trépidantes, des contre-cônes qui expulsent la fureur
de vivre à chaque tour de vilebrequin, des aiguilles de
tachymètres agitées de colère. Tout l'ombrage
de la perfide Albion rassemblé dans 750 cm3 de rage déchainée...
Jamais il ne se coiffait,
jamais il ne se lavait ; Les ongles plein de cambouis,
mais sur le biceps il avait Un tatouage avec un
coeur bleu sur la peau blême Et juste à
l'intérieur on lisait Maman je t'aime. Maman a tellement peur... Elle sent
le drame poindre à chaque nouveau départ, à
chaque arrachement vers la sauvagerie de la route, à chaque
rassemblement avec des amis bizarres, dans des lieux toujours
glauques, toujours plus éloignés, toujours plus
embrumés, encore improbables. Les ongles noirs, les biceps
et la queue gonflés, pleins de l'immortalité dont
on se croit bardé à dix-huit ans, le coeur bleu
de peur, bleu de froid, bleu de l'acier, la peau blême
creusée par le vent de la route. Penche, penche, accélère,
ne freine pas, pas encore... Plus fort... Maman, je t'aime !
Il avait une petite amie du
nom de Mary-Lou On la prenait en pitié,
une enfant de son âge Car tout le monde
savait bien qu'il aimait entre tout Sa chienne
de moto bien d'avantage. Toujours... La chienne qui te donne plus de plaisir.
Celle qui est toujours d'accord pour se faire chevaucher, qui
crie plus fort que nulle autre, qui se fait tendresse la nuit
en t'accueillant dans la lueur rassurante de ses compteurs, qui
t'emmène au-dela des montagnes sous la lumière
complice de la lune. La vraie compagne, faite par et pour les
mains de l'homme.
Mary-Lou ,la pauvre fille,
l'implora, le supplia, Tu ne pars pas ce soir
je vais pleurer si tu t'en vas, Mais les mots
furent perdus, ses larmes pareillement Dans le
bruit de la machine et du tuyau d'échappement. Les mégaphones hurlent ! Plus
fort que n'importe quelle femme. La moto te jette en arrière,
arrache tes mains du guidon, le vent gonfle ton corps, la force
emplit ton âme. Et les autres, les terriens, les rampants,
restent là à t'esperer, à pleurer sur leurs
craintes, à ignorer la joie vibrante que t'insuffle la
machine, à redouter la Mort qui fait chatoyer pour toi
ses promesses de volupté à chaque tour de roue.
Il bondit comme un diable
avec des flammes dans les yeux, Au passage à
niveaux ce fut comme un éclair de feu Contre
une locomotive qui filait vers le midi Et quand
on débarassa les débris La locomotive noire, fumante, monstrueuse
de puissance peut venir ! Nous sommes à armes égales.
Elle est la débauche de force, je suis le prolongement
de la puissance, de l'agilité, le maître du destin.
La locomotive peut bien filer vers le midi, je roule vers l'Ouest,
vers la derniere frontière. Un jour, nous nous rencontrerons...
On trouva sa culotte, ses
bottes de moto, Son blouson de cuir noir avec
un aigle sur le dos. Mais plus rien de la moto
et plus rien de ce démon Qui semait la
terreur dans toute la région Les dépouilles terrestres resteront
sur le bord du chemin, elles se fondront dans le bitume, elles
retourneront à la route... ELLE s'envolera avec moi, aussi
noire que la nuit, aussi brillante que mon âme, aussi étincelante
que le plus fol amour, plus forte que le sort, elle me portera
vers ceux que j'aime, vers celui que la Camarde m'a pris et qui
n'a pas eu le temps de la connaitre. La MOTOCYCLETTE
!
Ce texte
est dédié à mon fils.
Merci à
Edith pour sa merveilleuse chanson.
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