Fred s'endort au bord de la Mer
Rouge, la dernière des Sept Mers de ce premier voyage...
Ya Allah, c'est que nous sommes par la grâce
de Dieu à 6 ou 700 bornes du tropique du Cancer, vous rendez vous
compte? C'est juste un saut de Puce. De Puce d'eau en fait. La politique
étant ce qu'elle est, il faut des magouilles infernales pour atteindre
d'ici le Tropique, étant donné qu'il passe côté
est de la mer Rouge entre Médine et la Mecque en Arabie Séoudite
-qui ne donne pas de visas de tourisme- et côté ouest au nord
de Halaïb en Egypte du sud, mais pour aller en Egypte d'ici il faudrait
passer par Israël, genre de plaisanterie à éviter par
les temps qui courent...
- On est comme qui dirait dans un ulque de sac. Bah, ma
léch, ça fait rien, de toutes façons un tropique,
c'est bidon, ça n'existe que sur les cartes, on ne peut pas le voir,
le toucher, ni se baigner dedans, alors que la mer Rouge, c'est du vrai,
de l'eau tanthique, quand on se trempe le cul dans quelque chose, c'est
la preuve qu'elle existe! Demain on aura la preuve que la mer Rouge n'existe
pas que sur les cartes....
- En attendant, on va dormir dehors. La cour est vaste,
plantée de palmiers auxquels quelques gars ont accroché des
hamacs. Le gardien m'amène un lit de camp, que j'installe sous un
palmier, je gare la Puce à côté de mon lit, c'est Byzance,
hein ma Puce, dormir à ciel ouvert à trois tours de roues
de la mer Rouge. On a gagné, hein? On ne l'a pas encore vue, cette
mer, mais même si demain tu faisais un caprice, je pourrais te pousser
jusqu'à elle. On ne l'a pas vue, mais elle ne peut plus nous échapper.
Il faudrait vraiment la main de Dieu lui-même pour nous empêcher
d'y parvenir, et encore... On a bien fait de ne pas y aller cette nuit,
c'est encore meilleur comme ça.
- Poc...
- Quelque chose a fait Poc sur ma citrouille. Quelque chose
qui n'est ni dur, ni lourd. Ça a dû tomber du palmier, ça
a des fruits les palmiers? Ben forcément, tous les arbres ont des
fruits, un arbre sans fruit, c'est comme un mec sans theube, ça
ne se reproduit pas... Ça doit être un fruit qui ne se mange
pas, sinon j'en aurais entendu parler. C'est quand même con pour
un arbre de faire des fruits qui ne se mangent pas...
- Poc...
- Sur le bide cette fois. Merde, il a rebondi et il fait
tellement noir que je n'arrive pas à trouver ce putain de fruit....
Et si c'était pas un palmier? Un cocotier? Ben non, une noix ce
coco, ça fait pas Poc, ça fait Boum et tu vois trente-six
chandelles. Bon, pas bouger, le prochain qui me tombe dessus, je le chope.
Me voilà immobile mais attentif comme un chat aux aguets. Que le
temps paraît long. Est-ce qu'un chat aux aguets trouve temps long,
ou ses sens sont-ils si affinés qu'il n'a même pas besoin
d'être attentif?
- Poc, entre les jambes. Je le tiens. Un truc de la taille
d'une olive, mais plus long, sans queue, très lisse. J'étends
le bras pour mettre l'éclairage de Puce sur veilleuse, et présente
le truc devant le phare. Ben c'est un fruit beige pâle, oblong, avec
une peau toute lisse et brillante, pas vraiment bandant, ça me rappelle
rien de bouffable.
- D'un coup je me rappelle une prof de sciences naturelles
qui nous disait que l'on reconnaît la famille d'un fruit à
son noyau.
- J'ouvre donc mon fruit de bouzingrin... Merde! Dedans,
y'a un noyau de datte.
- Oh, sans charre hè, les dattes c'est des fruits
brun sombre hyper-sucrés et vachement collants qui poussent dans
des boîtes ovales avec un palmier dessiné dessus... Ou alors...
Ya Allah!...
- -Eh bien alors? C'est dangereux? demande Puce.
- -Ben non, enfin je crois pas, moins qu'un cocotier en
tous cas.
- -Alors on reste où l'on est?
- -Ouais, ouais, on reste où l'on est
- Quand je m'endors, il y a des boîtes de dattes
qui flottent au dessus de moi dans un nuage. Des boîtes sarcophagiformes
avec un palmier et imprimés sur le couvercle. Poc. La vie est une
merveille. M'en fous de la mer Rouge... Il pleut des dattes, et ça,
c'est pas ordinaire...