histoires...

 Dans cette histoire, Fred est en Grèce avec Puce, le Yamaha GT 80 qui doit découvrir les Sept Mers avant de faire le tour du monde. Il arrive dans la cité de Mega-Piston...

Nous quittons Salonique. Dieu merci, nous n'y sommes pas restés assez longtemps pour nous y attacher. C'est ça, le drame du voyageur. Dès que l'on reste assez longtemps en un lieu pour en assimiler un tant soit peu le mode de pensée, les coutumes, on s'y attache. Si l'on veut voyager loin, il ne faut s'arrêter nulle part, nulle part! Nous partons plein pot, pour fuir cette impression que, si nous étions restés, peut-être...
O Joie! Des virages, des virages de Puce, bien serrés, des esses, des doubles-esses, sur une route aux gravillons saillants, qui accrochent nos pneus comme des ventouses. Allah! Quel pied, quelle folie, on fait râcler les sacoches dans les virages. Ca fait ric à gauche, puis ric à droite, on est heureux, Puce et moi. Puce, c'est la Yamaha 4 qui gagna des championnats du Monde. Moi, je suis Phil Read, son chevalier servant. Hailwood est devant nous... Attends, Puce, à Craig Ny Baa, on lui fait l'intérieur, et à nous un nouveau titre de champion du Monde. Et ric, et rac, Hailwood est derrière nous maintenant. Nous arrivons à... MEGA PISTON!!!
Un frisson me court le long de l'échine. C'est pas vrai, je n'ai pas vu ça...
Pourtant, sur un panneau indicateur, j'ai bien cru lire MEG. PISTON.
Meg. C'est Megalos, en grec cela veut dire gros. Piston... C'est un piston!
Mega Piston, ce doit être la ville, la cité, le pays, le paradis du gros piston, du moteur monocylindre, le Gromono. Arrête-toi, Puce! Nous avons un pélerinage à faire... Demi-tour... O prêtres impénitents du Gromono, votre terre promise existe, quelque part entre Salonique et Alexandroupolis, la porte de la Turquie... Genou à terre, je baise la terre sacrée de la cité de Mega Piston. C'est la rédemption de tous les monos, dont Puce et moi sommes en ce moment les ambassadeurs avec nos 72cc et nos 47/42mm d'alésage/course. N'est-il pas de coutume, lors de la Grande Rédemption, d'envoyer en ambassadeur son messager le plus humble?
Puce et moi repartons élevés, transportés. Le contact de la terre sacrée nous a apporté tous les répits, toutes les consolations. Nous ne roulons plus, nous volons. Nos pneus ne reposent pas sur le sol, ils l'effleurent. Nous évoluons en un constant miracle. A nous, les vents! A nous les airs! A nous les cieux!!! Nos trajectoires sont impeccables, étonnante notre vitesse. Gauche, droite, gauche, droite. Nous avons dépassé les lois de l'adhérence. Un bout droit, je colle mon menton sur le réservoir, la barre de renfort du guidon me bouche la vue, n'importe, Dieu nous guide, Ia baraka nous sert de bâton d'aveugle. Banzaï!!!
Une bosse fait cogner mon menton sur le réservoir de ma Puce transgalactique. La réaction au choc me fait relever la tête, j'entrevois un trou... Un trou... Plutôt un nid de poule... De très grosse poule... De poule monumentale. Un ravin, un gouffre, un aven... Enorme, colossal, extra terrestre. On ne passe pas!!!
Un reflexe vital, ancestral, touterrainesque... motard, me fait dresser sur les repose-pied, jambes semi-fléchies, bien en arrière, la pointe de mes fesses effleurant mon jerrican à l'arrière de la selle. La roue avant passe, puis c'est la grande secousse, l'explosion, les sacoches cavalières se redressent comme les oreilles d'un cocker en pleine course, chargées comme elles sont, leur mouvement semble amplifier le décollage de la moto. Mirage IV en bout de piste d'envol, éteignez vos ceintures, attachez vos mégots, nous flottons, nous volons, au ciel quelques nuages transparents nous appellent. Puce, voici la fin de nos peines. L'infini sans bornes nous aspire, si haut, si haut...
 
Et lors, de son vil échafaud,
Le clown monta si haut, si haut,
Qu'il creva le plafond de toile
Au son du cor et du tambour
Et le coeur dévoré d'amour
Alla rouler dans les étoiles...
 
Ce postulat nous vient de deux philosophes méconnus qui connurent, toujours ensemble, des hauts et des bas. Roux et Combaluzier s'élevèrent aux cieux le 8 mai 1771, jour de l'ascension. Comme on ne savait pas encore se servir de l'électricité, ils moururent de faim, bloqués entre deux étages...
Cette implacable postulat nous tracasse, Puce et moi... Lorsque notre roue arrière a tapé le bord de ce fichtredieu de trou, on a décollé bien haut, à croire que nous allions échapper à l'attraction terrestre et partir vers une autre galaxie. Hélàs, nous n'avions pas pris assez d'élan, au bout d'une très longue seconde, notre parabole ascensionnelle commence à s'infléchir. Il va falloir songer a l'atterrissage, en rappel sur le guidon, jambes semi-fléchies et le regard fixant la ligne bleue de l'Istrandja, car de la Grèce on ne voit guère les Vosges, ce qui ne facilite rien...
Notre atterrissage est quelque peu clownesque: lors de la première prise de contact avec le sol, les suspensions talonnent, leur détente nous donne l'impression de redécoller, et nous parcourons une trentaine de mètres avec une fourche avant qui pompe comme les suspensions d'une vieille 2 CV. Un coup d'oeil en arrière pour vérifier que nous avons encore avec nous nos sacoches cavalières et notre réserve d'essence, et l'on ne s'arrête même pas, trop contents de s'en tirer a si bon compte. Plus tard, à l'étape, je m'apercevrai que Puce a la jante arrière un peu en coin de rue. Stoïque, elle n'avait rien dit...

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